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Philippe De Jonckheere. Est-ce que cette approche du silence ne demandait pas davantage de travail, un travail de réduction, un travail sur la langue ?
Charles Juliet. Oui, il retravaillait beaucoup son texte, mais ce nest pas ce travail sur la langue qui déterminait la raréfaction. Cétait un travail dorfèvre sur les mots, presque sur chaque syllabe. Il cherchait à être toujours plus concis et toujours plus percutant. Mais alors on sent bien que la voix intérieure ne parle plus comme avant. Elle a beaucoup moins à dire.
Jacky Chriqui. Jusquoù peut-on travailler cette langue sans séloigner de cette source inconsciente ?
Charles Juliet. Quand il retravaille une prose, tout écrivain doit sentir jusquoù il peut aller, doit sentir sil améliore son texte ou sil aboutit à un effet inverse. En modifiant tel mot, en changeant telle expression, quel résultat obtiendrai-je ? Il ny a pas de règle. Chaque mot a une histoire, un poids, un visage, un ou plusieurs sens. Cest à tout cela quil faut être sensible. Cest tout cela quil faut savoir maîtriser.Jacky Chriqui. A propos des poèmes, à quel moment avez-vous supprimé la ponctuation ? Quand je les lis, jai limpression dêtre devant une constellation de mots dont lespace est très calculé. Ce nest pas lespace de la ponctuation, cest un autre type despace.
Charles Juliet. Un rythme simpose à moi. Je suis très attentif au rythme, mais là encore cest mal dire, parce que je nai pas à être attentif. La parole surgit portée par ce rythme, et cest ce rythme qui impose le découpage des poèmes. Je ne mets pas de ponctuation parce quelle me paraîtrait inutile. On peut lire ces poèmes sans difficulté, je crois, tout senchaîne dune manière naturelle et logique.
Jacky Chriqui. Il y a parfois des parenthèses
Charles Juliet. Oui, une ou deux fois, cest déjà très ancien, peut-être parce que tel ou tel élément faisait corps étranger, et que je ne voulais pas le supprimer. Maintenant je ne mets plus jamais de parenthèses. Jai toujours été porté à dépouiller au maximum.
Jacky Chriqui. Mais la distance que vous mettez parfois entre les mots
vous avez fréquenté les peintres, vous avez regardé leur peinture, ny aurait-il pas une recherche plastique, formelle, des pleins et des vides, indépendamment du sens ?
Charles Juliet. Je ne peux pas dire quil y ait une recherche formelle. Ce qui est sûr, cest que lorsque je vois un poème en vers libres, sur une page, ça mémeut. Je ne peux pas dire autrement. Je ne sais pas pourquoi, je ne parle pas de vers réguliers, mais dun poème en vers libres sur une page. Je peux feuilleter un livre, rien que pour lil, et ressentir une émotion.
Jacky Chriqui. Dans vos poèmes, très souvent, léquilibre entre la typographie et la page est tel que le blanc lemporte, la lumière lemporte. Ces textes sont comme des petites colonnes en pleine lumière.
Charles Juliet. Ce quil faut savoir aussi, cest quon ne choisit pas décrire ce quon écrit. On écrit ce quon peut. Il ny a aucune décision, rien de délibéré, chaque poème que jai écrit ma été donné. Mais quand jécris une prose, il en va différemment. Leffort décriture est alors tellement important, tellement intense, que la pensée en est comme obnubilée. Jai beaucoup de difficulté à voir où je vais. Javance pas à pas.
Jacky Chriqui. Ça obnubile la pensée, mais alors comment les mots vous viennent-ils ?
Charles Juliet. Lécriture de la prose diffère en tous points de lécriture des poèmes. Dans le cas de la prose, quelque chose dinforme et de confus cherche à naître, je ne sais pas exactement ce que cest, mais je cherche à le mettre en forme, en tâtonnant, par approximations successives. Bien sûr, parfois il y a aussi des phrases qui surgissent toutes écrites, toutes prêtes, mais elles ne sont pas si fréquentes.
Jacky Chriqui. Vous laissez certains de vos textes tels quils se présentent ?
Charles Juliet. Comme je le disais, la plupart de mes poèmes ont été écrits sous une dictée, mais quand jécris de la prose, je retravaille beaucoup. Un même texte est relu à plusieurs reprises. Tant de choses sont à prendre en considération quand on écrit : le sens, les sonorités, les enchaînements, les échos qui se répondent
Philippe De Jonckheere. Voici une citation de Louis-René des Forêts, tirée dOstinato. Elle ma fait penser à certaines pages de Fouilles ou dAffûts. Je vous la lis et vous me direz ce que vous en pensez :
« Errant en somnambule dun vestige à lautre sans sy attarder, non par impatience darriver à destination, mais désir de se perdre, dans lidée que moins il sy retrouvera, plus il a de chances de rester fidèle à la vérité dune vie qui présente au regard rétrospectif tous les signes de légarement. »
Hésitation de Charles Juliet
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