Show rouge de la chair mobile
par Jacky Chriqui*
C’est l’intérieur d’un cylindre surbaissé. Son rayon n’excède pas un mètre cinquante.
Le sol recouvert d’une moquette criarde à poils longs est une piste qui tourne sur elle-même. Un tournesol.
Autour de ce cylindre, une couronne de cabines de la largeur d’un homme
assis est interrompue par une porte pour l’instant entrouverte derrière
laquelle une femme assise vêtue d’un peignoir fripé attend son tour.
Elle tricote.
Une autre femme est déjà sur la piste. Elle bouge devant moi qui suis
assis dans un fauteuil de la largeur de la cabine. Derrière la vitre,
quel don, la chair est là, se pâme d’ennui, se mouille le doigt, le
passe à la pointe du sein d’un geste à faire crisser le bord d’un verre
de cristal. La femme en talons aiguilles ne voit pas où est le mal.
Lanières aux chevilles, rien de plus pour la vêtir.
Elle s’approche de la vitre, me devine et me parle sans que je comprenne.
Quand d’autres rideaux se lèvent, d’autres hommes d’oubli dans
l’épaisseur d’un cercle entre deux cloisons tournent en rond pour voir
la même fente, glisser la même monnaie, la même monnaie dans la même
fente.
Je déroule d’une main, j’arrache d’une main, je froisse d’une main le
fin papier crépon alors que l’autre main hésite. Je vérifie la porte de
la cabine numéro six je crois, à la targette douteuse. A mes pieds dans
une corbeille, sur le fin papier luit une sève de solitude et
d’abandon. Croire jouir comme on se mouche, pourquoi entrer là.
Elle, servie sur un plateau de moquette criarde, sexe rasé comme le
crâne d’une collabo qu’on montre du doigt, s’ébranle mollement aux sons
d’accents disco.
Chacun dans sa cabine fouille ses poches pliées par la station assise,
rencontre son nœud en cherchant la pièce qui convient dans la
quasi-obscurité, supputant au toucher que c’est la bonne. La pièce
devient sale d’un coup ou bien c’est la sueur du pouce.
Le compteur à monnaie épuise les secondes rouges, revient à zéro et
renvoie entre la piste et moi son rideau. Pourquoi entrer là, et
comment en sortir.
Traverser les piles de magazines qui mènent à la rue, faire face,
repousser les lourdes tentures qui protègent de la rue. S’éblouir de
déception au contact d’un jour de néon.
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*Dernier ouvrage paru:
D'ordinaire la beauté, Editions Charcot, 1999.
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